Nous, Ministres chargés de l’Economie et des Finances, de l’Agriculture et de la Sécurité Alimentaire des Etats Membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS, réunis à Lomé, république Togolaise les 30 et 31 mai 2023 sur invitation conjointe de la Commission de la CEDEAO et la Banque Mondiale, avec l’appui des partenaires techniques et financiers de la région autour d’une Table Ronde de Haut Niveau sur les Engrais et la Santé des Sols en Afrique de l’Ouest et au Sahel.
Considérant l’objectif du développement durable numéro 2 qui vise d’ici 2030 à « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable » et l’objectif du développement durable numéro 13 qui vise à « prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions », engageant les parties prenantes à mettre un accent particulier sur les performances et la résilience des systèmes agro-alimentaires et à la mise en œuvre de pratiques agricoles durables permettant d’accroître la productivité agricole et la production alimentaire, tout en contribuant à la préservation des écosystèmes et des ressources naturelles, en améliorant la santé des sols et en renforçant les capacités d’adaptation des populations et des systèmes de production aux changements climatiques et aux autres types de catastrophes.
Considérant l’Agenda 2063 de l’Union Africaine qui vise en son objectif numéro 5 « une agriculture moderne pour une productivité et une production accrue ».
Considérant la Déclaration de Malabo de 2014 sur le Programme Détaillé pour le Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA) à travers laquelle les Chefs d’États de l’Union Africaine s’engagent à « accélérer la croissance et la transformation des produits agricoles en vue d’une prospérité partagée et des meilleures conditions de vie ».
Considérant la Déclaration de Dakar de Janvier 2023 sur la souveraineté alimentaire et la résilience visant l’élaboration des Compacts nationaux pour l’alimentation et l’agriculture avec la collaboration des parties prenantes des pays, des partenaires au développement et du secteur privé afin de parvenir à la sécurité et à l’autosuffisance alimentaire.
Rappelant les objectifs de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAf/AfCFTA) et le Tarif Extérieur Commun de la CEDEAO (TEC/CET) comme outils d’intégration continentale et régionale.
Rappelant le Pilier 4 de la Vision 2050 de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) visant la « Transformation et le Développement Inclusif et Durable », qui s’appuie sur la transformation structurelle des économies grâce à la numérisation de l’économie, à l’entreprenariat, à la science et la technologie ainsi qu’aux investissements structurants dans les secteurs porteurs et qui vise à promouvoir la gestion efficace des ressources naturelles, et à renforcer la résilience de la région face aux changements climatiques et aux chocs exogènes.
Rappelant la politique agricole des Etats de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (ECOWAP), ayant pour objectif central de « contribuer de manière durable à la satisfaction des besoins alimentaires de la population, au développement économique et social et à la réduction de la pauvreté́ dans les États membres » ; prenant en compte la diversité des systèmes productifs et la forte atomicité des exploitations, au demeurant de petite taille, « la politique agricole s’inscrit dans la perspective d’une agriculture moderne et durable, fondée sur l’efficacité et l’efficience des exploitations familiales et la promotion des entreprises agricoles grâce à l’implication du secteur privé ».
Rappelant les Plans Nationaux et Régional d’Investissement Agricole et de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (PNIA-SAN et PRIA-SAN) validés par la région en 2015 dans le cadre de la mise en œuvre de l’ECOWAP.
Constatant :
– Qu’en dépit des investissements effectués, l’ambition de la région en faveur de systèmes agro-alimentaires durables et résilients demeure en deçà des attentes.
– Que depuis la crise alimentaire de 2008, plusieurs facteurs exogènes tels que les changements et la variabilité climatique, les pandémies (Ebola, COVID-19), les inflations et crises économiques influencent négativement la production et la productivité agricole ; que, malgré les progrès accomplis, les pratiques dévastatrices de la qualité des terres, des sols et des ressources naturelles en général se poursuivent, dans un contexte où les acteurs des chaines de valeurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel sont confrontés à d’énormes difficultés d'accès aux nouvelles technologies de production agricole durable, y compris l’accès et l’utilisation convenable et raisonnée des fertilisant minéraux ou organiques .
– Que en 2022, l’utilisation d'engrais minéraux en Afrique sub-saharienne, avec une moyenne de 20 kilogramme de nutriments par hectare de terres cultivées, reste encore très faible par rapport (i) à l’objectif de 50 kilogramme / hectare de la déclaration de Abuja en 2006, (ii) à la moyenne mondiale de 146 kilogrammes/hectare (175kg/ha en Inde et 393 kg/ha en Chine), et que ces apports ne permettent pas de compenser les pertes des éléments nutritifs du sol emportés chaque année via la production agricole et la dégradation des sols.
– Que, bien que continue, la croissance annuelle de la production agricole en Afrique de l’Ouest et au Sahel demeure insuffisante pour répondre aux besoins d’une population en forte croissance et de plus en plus urbanisée ; cette croissance agricole étant essentiellement due à l’extension des superficies plutôt qu’à l’augmentation de la productivité, situation engendrant une hausse continue des personnes en insécurité alimentaire, passant de 9.7 millions de personnes à la soudure 2019 à 42.5 millions à celle de 2023 selon les résultats de l’analyse du « Cadre Harmonisé » d’Avril 2023, ainsi qu’engendrant une aggravation de l’impact environnemental, l’agriculture extensive s’accompagnant de déforestation privant de fait la région d’un asset stratégique pour la séquestration du carbone.
– Que, depuis 2020, l’espace Afrique de l’Ouest et Sahel fait face à d’énormes difficultés d’approvisionnement en engrais (indisponibilité, explosion des prix), situation nécessitant des mesures rapides, idoines et audacieuses.
– Qu’en dépit des dispositifs règlementaires mis en place par les Gouvernements et leurs organisations inter-gouvernementales, l’incitation du secteur privé pour le développement du secteur des intrants (production industrielle, commercialisation, logistique, recherche et développement, etc.) demeure insuffisante au regard des enjeux énormes et des urgences.
Convaincus :
– Que, sans des intrants de qualité et en quantité, les producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel seront de plus en plus incapables de satisfaire les besoins alimentaires d’une population en forte croissance et urbanisée ;
que de telles mutations requièrent de profondes transformations des pratiques vers une intensification agroécologique durable reposant notamment sur une utilisation optimale d’engrais organiques et minéraux à travers l’adoption du principe des 4R (bonne source, bon moment, bonne quantité et bon endroit) nécessitant une stratégie de séparation des nutriments au moment de leur application, en tenant compte des systèmes de culture, des spécificités climatiques, des composantes de la santé des sols et des impacts environnementaux.
– Qu’une Gestion Intégrée de la Fertilité ainsi que le maintien et la restauration de la Santé des Sols dans les Etats membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS, constituent le moyen d’assurer la résilience des systèmes alimentaires, et donc une voie essentielle pour la réalisation de la Souveraineté alimentaire ainsi que des autres Objectifs de Développement Durable ; et que tout effort visant à réduire la faim en Afrique de l’Ouest et au Sahel, à contribuer à l’atteinte de la souveraineté alimentaire dans l’espace Ouest Africain et Sahélien, passe par (a) la préservation de la fertilité des sols, (b) la restauration des sols dégradés et de leur fertilité, et (c) la nutrition et la santé des sols.
Conscients de la nécessité et l’urgence d’agir individuellement et collectivement pour changer significativement les trajectoires des systèmes de production agroalimentaire en faveur d’une productivité agricole plus durable et résiliente dont la santé des sols est la pierre angulaire ; et par conséquent de l’urgence de : (i) mettre en place un environnement suffisamment incitatif, tant aux niveaux national et régional, qui soit favorable à l’optimisation de la contribution du secteur privé, au développement de partenariats public-privés, multi-acteurs, etc., au bénéfice de l’augmentation de la compétitivité des filières engrais (organiques et minéraux) dans la région ; (ii) définir un programme d'investissement stratégique en vue d'augmenter la disponibilité, l’accessibilité et l'utilisation efficiente d’engrais ainsi que des autres intrants agricoles, particulièrement les semences certifiées dans les Etats Membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS pour impulser la production et la productivité agricole.
Compte tenu de ce qui précède, NOUS :
1. Déclarons l'engrais, tant de source minérale qu'organique, produit stratégique sans frontières, libre de circuler sans entraves, dans l’espace CEDEAO, UEMOA et CILSS conformément aux dispositifs règlementaires régionaux en vigueur ou à améliorer.
2. Déclarons la santé des sols comme un pilier critique de la sécurité alimentaire et d’un modèle agricole durable ; et par conséquent, les programmes de sa préservation/restauration doivent bénéficier du financement des partenaires au développement et des budgets des Etats.
3. Prenons l’engagement pour que tous les États membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS soutiennent la mise en œuvre de la Feuille de Route sur les Engrais et la Santé des Sols en Afrique de l’Ouest et au Sahel adoptée à Lomé et accélèrent : (i) la création d’un environnement favorable pour un accès effectif des producteurs et productrices agricoles aux engrais et autres intrants agricoles, et ; (ii) la mise en œuvre de stratégies et de plans de Gestion Intégrée de la Fertilité des Sols et la Santé des Sols.
4. Par conséquent, les États membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS s'engagent à : (i) tripler la consommation de nutriments et à doubler la productivité agricole d’ici 2035 dans une approche de Gestion Intégrée de la Fertilité des Sols, du maintien et de la restauration de la Santé des Sols ; (ii) inverser la dégradation des terres et restaurer la santé des sols sur au moins 30 % des sols dégradés ; et (iii) disséminer auprès d'au moins 70 % des petits exploitants agricoles de la Région des recommandations sur les bonnes pratiques permettant une application efficiente des nutriments à travers l’adoption du principe des 4R.
Plus spécifiquement :
1. Avec effet immédiat, les Etats membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS s’engagent, avec le soutien de ses partenaires techniques et financiers et du Secteur Privé, à améliorer d’urgence l'accès aux engrais minéraux et organiques des petits producteurs et productrices agricoles, en mettant l'accent sur les cultures assurant la Sécurité et la Souveraineté Alimentaires des populations, notamment à travers des programmes d’interventions publiques ciblés (subventions intelligentes, appui budgétaire pour l’acquisition d’engrais, etc.).
2. Les Etats membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS et les Commissions de la CEDEAO et de l’UEMOA (ensemble de façon concertée) s’engagent d’ici fin 2026 à prendre des mesures de politiques publiques adéquates afin de faciliter la disponibilité et l’accès aux engrais au niveau national et régional, en particulier grâce à l'harmonisation des politiques et des réglementations, en encourageant une meilleure et une libre circulation (hors douanes et hors taxes) des engrais entre les Etats, en encourageant la transparence, et en développant les capacités en matière de contrôle de qualité et de traçabilité. Pour ce faire, et comme mesure immédiate, les États s’engagent à éliminer progressivement les droits de douanes et taxes sur les engrais et les autres matières premières fertilisantes. Ils s’engagent également à simplifier les formalités douanières et administratives des importations afin de réduire les délais d'admission des produits et par conséquent minimiser les coûts.
3. Prenons la décision immédiate de mettre en place le Comité Ouest Africain de Contrôle de la qualité des Engrais pour assister les Commissions de la CEDEAO et de l’UEMOA et le Secrétariat Exécutif du CILSS ainsi que leurs Etats membres dans la mise en œuvre conjointe du Règlement C/REG.13/12/12 relatif au contrôle de qualité des engrais dans l’espace communautaire, et lui apporter les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires à la pérennité de ses interventions.
4. D'ici à fin 2025, les Etats membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS s’engagent à prendre des mesures concrètes pour améliorer l'accès des producteurs et productrices agricoles aux engrais en développant et en renforçant les capacités des réseaux de distributeurs certifiés d'intrants et ceux des communautés locales dans les régions rurales, et en valorisant la participation et l’implication du secteur privé, des jeunes et des femmes.
5. Ils s’engagent aussi à :
– Prendre des mesures immédiates pour accélérer l'investissement dans les infrastructures portuaires, de stockage et de transport.
– Mettre en place pour les fabricants, les mélangeurs, les importateurs et les distributeurs d'intrants des facilités de financement et de partage des risques au niveau local, national et régional, avec l’appui du Groupe de la Banque mondiale (GBM), des Banques régionales d’Investissements et de Développement (BIDC, BOAD), des Banques Africaines (BAD, Afreximbank), avec un accent particulier sur les femmes et les jeunes entrepreneurs.
6. Ils appellent par conséquent à la conclusion de partenariats stratégiques entre le secteur public et le secteur privé avant la fin de l'année 2025, avec l'appui du Groupe de la Banque mondiale (GBM), de la Banque Africaine de Développement (BAD/AfDB), de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC/EBID), des Commissions de la CEDEAO et de l’UEMOA pour mettre en place ensemble des mécanismes pour sécuriser la disponibilité et l’accessibilité des engrais pour les producteurs et productrices agricoles.
7. Les Etats membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS, avec l’appui des Commissions de la CEDEAO et de l’UEMOA, s’engagent à mettre en œuvre des initiatives concrètes pour promouvoir la production locale/régionale d'engrais organiques et minéraux, et pour dynamiser le commerce intrarégional des engrais à travers des mesures règlementaires régionales appropriées, avec le soutien des partenaires privés et institutionnels (GBM, BAD/AfDB, BOAD, BIDC).
8. Ils s’engagent également dans la mise en œuvre concomitante d’actions d’accompagnement visant à (i) renforcer les systèmes de Recherche-Développement sur la gestion durable des terres, y compris les technologies d’utilisation efficiente des engrais, (ii) améliorer l'accès des producteurs et productrices agricoles aux semences de qualité, aux infrastructures d'irrigation, aux services de vulgarisation et de conseil agricoles, aux informations sur le marché et aux analyses et cartes des sols pour faciliter l'utilisation effective et efficiente des engrais (minéraux et organiques) tout en veillant aux considérations de changement climatique, de durabilité et de protection de l'environnement.
9. En vue de la réalisation de l’ambition régionale de développement, d’accès et d’utilisation des engrais, les Etats Membres de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS exhortent :
– L’ensemble des parties prenantes à renforcer la coopération et les synergies dans les interventions dans le même espace régional. Plus particulièrement, ils demandent à la Banque Africaine de Développement d’établir une coopération intelligente avec la BIDC/EBIC et la BOAD afin de revitaliser et de rendre plus opérationnel le « Mécanisme Africain de Financement du Développement des Engrais », aussi bien en faveur du secteur public que du secteur privé, afin de répondre plus efficacement aux besoins immenses de financement ;
– La Commission de la CEDEAO à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le suivi-évaluation, la coordination et le compte rendu régulier aux Ministres chargés de l’Agriculture et de la Sécurité Alimentaire de la mise en œuvre de cette présente déclaration. Ceci devrait se faire en collaboration avec les partenaires techniques et organisations régionales de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel.
La Commission de la CEDEAO devrait régulièrement rendre compte à la Commission de l’Union Africaine, à la Commission de l’UEMOA, au Secrétariat Exécutif du CILSS pour information de leurs instances décisionnelles.
Nous exhortons
(i) le Groupe de la Banque Mondiale à mobiliser le soutien des Partenaires de Développement ainsi que les ressources de l'IDA afin d'accompagner les pays de la région de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel à : (1) Poursuive leur appui à la mobilisation de financement et à la mise en œuvre des programmes d'urgence pour faire face à la crise actuelle des engrais, notamment pour faciliter aux petits agriculteurs l'accès aux engrais ; et (2) Élaborer et mettre en place des programmes d'appui pour la gestion intégrée de la fertilité et la santé des sols, prenant en considération les réformes nécessaires à la transformation et au développement de la filière des engrais dans la région ; y inclus la production locale ;
(ii) les parties prenantes ouest-africaines, notamment les opérateurs privés du secteur des engrais et des autres intrants agricoles, de l'agriculture, de l'agribusiness et des agro-industries, les producteurs et productrices agricoles, ainsi que les organisations de la société civile et les institutions financières à soutenir la mise en œuvre des dispositions de la présente Déclaration et de la Feuille de Route qui l’accompagne ;
(iii) les institutions régionales de coordination de la recherche agricole, en particulier le CORAF, l’IFDC et le FARA, à s’impliquer activement dans la mise en œuvre de la présente Déclaration et de la Feuille de Route qui l’accompagne, en s'appuyant sur leurs réseaux nationaux ;
(iv) les partenaires au développement, à renforcer et à mettre en synergie leur soutien technique et financier en appui à la mise en œuvre de la présente Déclaration et de la Feuille de Route qui l’accompagne.
Fait à Lomé, le 31 mai 2023
Ont signé, les Ministres chargés de l’Agriculture et de la Sécurité Alimentaire de la CEDEAO, de l’UEMOA et du CILSS