Pouvez-vous nous parler un peu du Programme de Coopération Transfrontalière Locale ?
Eric Talardia Kondia : Pour commencer, on peut se poser la question suivante : pourquoi intervenir dans les zones transfrontalières ? Ce choix résulte de constats issus d’études diagnostiques menées par les États. Ces études ont mis en lumière que les espaces transfrontaliers sont très souvent des zones marginalisées, souffrant d’enclavement, d’éloignement, de déprime économique, de sous-équipement, et marquées par un exode important de la population. Ce sont également des espaces particulièrement exposés aux tensions : on y retrouve des zones minières, des territoires de transhumance ou encore des zones de litiges fonciers.
Ces territoires sont souvent dépourvus de moyens institutionnels, politiques et logistiques adaptés pour faire face aux défis sociaux, sécuritaires et économiques auxquels ils sont confrontés. C’est pourquoi la Commission de l’UEMOA et le Conseil des Collectivités Territoriales ont choisi de faire de la coopération transfrontalière un levier de développement économique local, mais aussi un outil de promotion de la paix et de l’intégration régionale. L’originalité de cette démarche réside dans le fait de placer les populations et leurs représentants élus au cœur des dynamiques de développement.
Qu’est-ce qu’une zone transfrontalière ?
Eric Talardia Kondia : Il s’agit d’un espace partagé entre deux ou plusieurs pays. Dans ce cadre, des collectivités territoriales situées de part et d’autre des frontières peuvent se regrouper afin de mettre en œuvre des initiatives communes. Ce travail collaboratif permet de renforcer les synergies locales, de partager les ressources, et de mieux répondre aux besoins spécifiques des populations vivant dans ces zones.
Le Programme de Coopération Transfrontalière Locale est actuellement dans sa deuxième phase. Que peut-on retenir de cette étape ?
Eric Talardia Kondia : Effectivement, le PCTL en est aujourd’hui à sa deuxième phase, qui couvre la période 2021-2025. Elle est cofinancée par la Commission de l’UEMOA et la Coopération suisse à hauteur de 10,7 milliards de francs CFA. La mise en œuvre est assurée par le Conseil des Collectivités Territoriales de l’UEMOA.
Cette phase intervient dans six espaces transfrontaliers : Dendi-Ganda, SKBO (Sikasso–Korhogo–Bobo-Dioulasso), C3Sahel, le Bassin du Fleuve Sénégal, la Volta Noire, et la zone Sud Bénin–Togo. Les groupes cibles sont les collectivités territoriales présentes dans les zones frontalières ainsi que leurs structures faitières. Quant aux bénéficiaires finaux, ce sont les populations de ces espaces transfrontaliers.
Après dix ans d’intervention, peut-on dire que les objectifs visés par le PCTL sont atteints ?
Eric Talardia Kondia : L’objectif principal du programme est de renforcer l’accès des populations transfrontalières aux services socio-économiques. Et sur ce plan, les résultats sont encourageants. Le PCTL a permis des avancées notables.
Dans le domaine de la planification et de la gestion intégrée des territoires, trois Schémas d’Aménagement Transfrontalier Intégré (SATI) ont été élaborés et validés : dans le Liptako-Gourma, dans l’espace Sikasso–Korhogo–Bobo-Dioulasso, et dans le Bassin du Fleuve Sénégal. Trois autres SATI sont actuellement en cours d’élaboration.
Pour faciliter la mobilité transfrontalière, des pistes de désenclavement ont été construites, accompagnées d’ouvrages de franchissement pour interconnecter les localités frontalières. Dans le même esprit, des barques motorisées ont été acquises afin d’améliorer le transport scolaire entre le Sud Bénin et le Togo.
En matière de développement hydro-agricole, un périmètre de 50 hectares a été aménagé à Ouéléni, dans l’espace SKBO. Il est équipé d’un système d’irrigation solaire. Par ailleurs, près de cinquante forages ont été réalisés, et un système d’adduction d’eau potable a été réhabilité.
Aménagement du site de réinstallation provisoire des usagers du marché à légume de Gao.
Le programme a aussi œuvré à l’aménagement et à la structuration des espaces économiques. Le marché de Téra, au Niger, a été construit, tandis que le marché de légumes de Gao, au Mali, est en cours de réhabilitation. Ces infrastructures permettent de créer un cadre plus organisé pour les échanges, tout en générant des ressources fiscales pour les collectivités locales.
Enfin, des projets culturels et sportifs ont été promus afin de renforcer la cohésion sociale, la paix et l’intégration entre les populations frontalières. Les interventions du programme contribuent également à la sécurité par la création d’emplois et la génération de revenus, notamment pour les jeunes, qui constituent une frange vulnérable de la population.
Quelle est l’approche utilisée pour mettre en œuvre les activités dans un contexte sécuritaire difficile ?
Eric Talardia Kondia : Le PCTL repose sur une approche locale, avec un dispositif qui responsabilise les collectivités territoriales et leurs faitières dans la conduite des projets. Ces acteurs sont au centre de la mise en œuvre. Toutefois, pour faire face au manque de ressources humaines qualifiées dans ces zones, une assistance technique a été mise en place. Elle accompagne les collectivités et renforce leurs capacités, tout en soutenant la maîtrise d’ouvrage locale.
Quelles sont les perspectives du Programme de Coopération Transfrontalière Locale ?
Eric Talardia Kondia : Les perspectives s’articulent autour de deux axes majeurs. D’une part, il s’agit de consolider les acquis dans les zones déjà couvertes par le programme. Cela implique notamment la mobilisation de financements additionnels pour mettre en œuvre les projets prioritaires identifiés dans les SATI. Une fois les schémas élaborés, le défi réside dans la capacité des collectivités et de leurs faitières à rassembler les ressources nécessaires pour concrétiser les investissements prévus.
D’autre part, après dix ans d’intervention, la Commission de l’UEMOA s’est affirmée comme une pionnière en Afrique de l’Ouest dans la promotion de la coopération transfrontalière. Cette reconnaissance a suscité l’intérêt de partenaires comme l’Union européenne, la Banque mondiale, la Coopération française ou encore la Banque africaine de développement. La Commission poursuivra donc son plaidoyer auprès des États et des partenaires techniques et financiers, afin de renforcer la coopération transfrontalière comme levier structurant du développement et de l’intégration régionale.