L’activité économique en Afrique a ralenti en 2022 à cause de la guerre en Ukraine. Les crises multiples mondiales ont véritablement rendu les hommes pauvres et creusé des inégalités compromettant ainsi les Objectifs pour le Développement Durable (ODD) d’ici 2030 et rendant difficile de combler le fossé entre les riches et les pauvres en Afrique. Selon la CEA, le continent abrite plus de la moitié des pauvres de la planète (54,8 % en 2022), dépassant l'Asie du Sud (37,6 %). À la suite de l'épidémie de COVID, 19,62 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté en l'espace d'un an seulement, et l'on estime que 18 millions de personnes supplémentaires auront rejoint leurs rangs à la fin de 2022. Pas moins de 149 millions de non-pauvres soit environ 10 % de la population africaine restent exposés à un risque élevé de tomber dans la pauvreté. Au total, 695 millions de personnes en Afrique sont pauvres ou risquent de le devenir. Cela représente 50 % de la population du continent. L'Afrique est actuellement la première région du monde en termes de pauvreté. Comment sortir de cette vulnérabilité et inégalité sempiternelle? « C’est toute la problématique ! L’Afrique a les réponses. En terme normatif, on a tout ce qu’il faut. Vous vous rappelez du Plan d’action de Lagos, de la diversification économique, et récemment la Zlecaf. Ce dont il s’agit, ce n’est pas de continuer par formuler les cadres politiques normatives, l’urgence est la mise en œuvre et c’est où le bât blesse. Dans ce contexte actuel, l’Afrique de l’ouest, de l’Est, d’ailleurs, l’Afrique en général se doit d’agir rapidement et de mettre en œuvre ces différents cadres de développement ou disparaitre, et je pèse bien mes mots », a martelé Mme Ngone Diop, la Directrice du Bureau Sous régional pour l’Afrique de l’Ouest de la CEA dans une interview accordée à Addis-Abéba (Ethiopie) à la rédaction du journal Economie et Développement.
Eco-Dev : Que comprendre des multiples crises qui affectent le continent ?
Mme Ngone Diop : Nous vivons des crises d’une intensité criarde pour différentes raisons : c’est une crise qui est arrivée dans un contexte géopolitique et géostratégique. C’est des crises à l’image d’une guerre froide qui ne dit pas son nom dont les pays africains laissés pour compte. Facto, dans la sous-région et le sahel, on parle aussi de la crise de la paix et de sécurité : des conflits permanents avec des effets socioéconomiques énormes, des impacts négatifs sur la population. Dans un contexte tout juste d’économie et de développement social, nous avons été affectés par la covid-19, au moment où les pays se relèvent, c’est la guerre Russo-Ukrainienne qui a démontré l’insuffisance de notre segment économique, la structure économique de nos pays, et aussi la dépendance légendaire des autres pays qui ne disposent pas d’assez de ressources comme l’Afrique parce que, par exemple, le continent dispose de 500 millions de terres arables, 65% des terres arables non cultivées du monde et une très bonne partie en Afrique de l’ouest. Voilà, le contexte politique socioéconomique, géopolitique et géostratégique autour de trois crises : La Covid-19, l’inflation, stagflation (la combinaison de la baisse du taux de croissance et la création de richesse) qui ont des effets négatifs sur les économies et les populations. L’autre crise dont on parle maintenant beaucoup c’est la crise climatique, avec l’ampleur des conséquences en espèce dans nos pays en Afrique de l’Ouest.
Comment expliquer la progression de la vulnérabilité et l’inégalité sur le continent en particulier en Afrique de l’Ouest ?
Mme Ngone Diop : La COM2023 a pour thème "Favoriser la reprise et la transformation en Afrique pour réduire les inégalités et les vulnérabilités". Quand on parle de vulnérabilité et d’inégalité, on pense à deux groupes de couches sociales : en occurrence, les jeunes et les femmes. Si on veut appréhender davantage cette vulnérabilité, il suffit d’analyser le profil démographique de notre région; des jeunes qui représentent 65% de la population (-25 ans ; et + 35 ans). Cette démographie est la capture du dividende démographique. C’est un véritable problème car on a une population très jeune face à une économique qui n’est pas en meilleure forme, pas de création de richesse et d’emploi décent, pas d’accès aux services sociaux (éducation, la santé), pas de participation inclusive dans les processus de la prise de décision de la gouvernance des pays. La dimension du dividende démographique est en mal en Afrique d’une manière structurelle réelle également d’une manière exacerbée à cause de la crise. Maintenant, quand on regarde les grands indicateurs d’inégalité, de vulnérabilité et de pauvreté, on sait qu’en Afrique on a au total, 695 millions de personnes qui sont pauvres ou risquent de le devenir. Cela représente 50 % de la population du continent. Les ¾ de ces pauvres se trouvent en Afrique de l’Est et de l’Ouest. En continuant l’analyse, on remarque que l’écart du ciseau se penche vers l’Afrique de l’ouest c’est-à-dire, la zone dispose de personnes vulnérables et la contradiction, c’est qu’on regorge des matières premières naturelles, ressources minières, la terre, de l’eau, c’est le paradoxe de l’abondance. On a tout ce qu’il faut pour investir et créer de la richesse, la redistribuer selon les méthodes macroéconomiques, économiques et politiques bien équitables. Malheureusement, on n‘est loin d’être là. En 2022, l’Afrique de l’ouest a enregistré 6,3 millions de pauvres. Comment accepter cette situation ? Si vous voyez déjà les 04 dimensions du dividende démographique, la majorité des jeunes baissent dans le chômage endémique. Pendant presqu’une décennie, il y a eu une croissance positive entre 5,6, 7, et même 8 en Afrique de l’ouest. Mais les impacts de cette croissance en termes de redistribution ne sont pas adéquats et égalitaires. Le moyen de redistribuer la richesse, c’est l’emploi, les services sociaux, surtout la sécurité et la protection sociale. Aujourd’hui, la protection sociale est seulement de 14% de la population. La moyenne de la protection en Afrique s’élève à 17%. Quand on parle de l’emploi, c’est le marché endémique des économies. Plus de 70% des jeunes et femmes sont dans le marché informel: marché indécent qui n’offre pas le minimum pour sortir de la pauvreté, absence d’assurance maladie, manque de participation aux prises de décision dans les politiques de production et de redistribution de la richesse. Ce paradoxe de l’abondance a également des effets négatifs et pervers sur la femme dans l’inégalité à l’économie, l’éducation, la santé ; genre, la natalité, la mortalité maternelle (700 décès sur 100 000 naissances contre 500 de nos jours), les efforts sont infirmes et éminemment lents. Il y a un faisceau d’éléments de défis qui font que les impératifs et les problématiques, les priorités se bousculent. Comment prioriser les priorités, le social, l’économie, les défis macroéconomiques, la mise en place des programmes, des politiques qui répondent à ces besoins ? A mon avis, la base est déjà fragilisée dans un contexte où on ne crée pas beaucoup de richesses, la croissance économique diminue alors qu’on a besoin d’une croissance à deux chiffres pour réduire la pauvreté en Afrique de l’ouest dans une période assez longue mais on n’en n’est pas encore là ! Aussi, le déficit fiscal, l’assiette fiscale s’est grandement rétrécie. Les Etats n’ont plus de revenus nécessaires pour faire face aux investissements et répondre aux exigences impératives. L’autre élément important, c’est la dette, dans une période de crise de dette où nos pays commencent par s’endetter énormément. Depuis la pandémie, il y avait eu la suspension des services de la dette pour donner aux pays la possibilité de souffler un peu car en lieu et place de rembourser les dettes, qu’ils investissent dans les réponses de Covid mais les résultats ne sont pas considérables. Il y a la peur qu’à ce rythme qu’on revienne au contexte d’antan qui a précédé les programmes d’ajustement structurel. C’est un tout cohérent car les pays n’ont pas de revenus nécessaires, très endettés et doivent répondre vite aux exigences de la vulnérabilité, l’inégalité des jeunes et des femmes. Si les ODD ont pour rôles de ne laisser personne sur le carreau d’ici 2030, les chiffres montrent qu’une grande part de la population est laissée en rade parce qu’elles ne sont ni dans le secteur d’emploi productif, ni la couverture médicale sociale. Voilà, grosso modo, l’état de la vulnérabilité, les problématiques auxquelles on fait face et pour lesquelles il faut trouver des solutions. C’est pourquoi la COM2023 a essayé de créer une plateforme de discussion engagée qui permet de mieux comprendre les sources de la vulnérabilité à tous les chocs climatiques, économiques, aux guerres. Si nous sommes si vulnérables, cela veut dire que les fondements de nos économies sont fragiles et non diversifiées.
Que doit faire le continent pour éviter d’être affecté dorénavant par les multiples crises ?
Mme Ngone Diop : C’est toute la problématique ! L’Afrique a les réponses. En terme normatif, on a tout ce qu’il faut. Vous vous rappelez du Plan d’action de Lagos, de la diversification économique, et récemment la Zlecaf. Ce dont il s’agit, ce n’est pas de continuer par formuler les cadres politiques normatives, l’urgence est la mise en œuvre et c’est où le bât blesse. Dans ce contexte actuel, l’Afrique de l’ouest, de l’Est, d’ailleurs, l’Afrique en général se doit d’agir rapidement et de mettre en œuvre ces différents cadres de développement ou disparaitre, et je pèse bien mes mots. Quand l’Afrique vivote, n’a pas les moyens de ses ambitions, est très endettée, doit être à chaque fois obligée dans les situations à risque de se recourir aux institutions internationales bancaires avec des taux d’intérêt très élevés, d’où le problème de toujours rembourser des sommes importantes du fait de notre état de fragilité et de risque. La Zlecaf est l’un des derniers des cadres normatifs, me semble disposer des potentiels structurels pour transformer le continent, la diversification économique, l’industrialisation. Ces initiatives sont imminentes pour répondre aux problématiques structurelles de nos économies fragiles, non diversifiés. Nous sommes dotés d’énormes richesses auxquelles on ne rajoute pas de la valeur, les richesses sont transformées ailleurs avec beaucoup plus de valeurs ajoutées. Combien tirons nous de toutes nos richesses, le pétrole, et autres ? Seulement 10% sont générés par ces produits. Voilà, pourquoi la CEA est en train de faire des actions majeures pour répondre à ce paradoxe de l’abondance avec la mise sur pied de l’usine de batterie électrique et moteur en RDC et en Zambie, ces pays qui disposent des minerais tels que le cobalt, lithium, nickel. Il y a aussi le marché du carbone qu’il faut explorer avec le bassin du Congo qui permet de réduire considérablement l’impact des gaz à effet de serre sur l'environnement. C’est un crédit qu’il faut commercer par négocier. Toutes ces initiatives novatrices visent à répondre aux problématiques structurelles. Dans ces perspectives et dynamiques s’inscrit la Zlecaf, un marché important de 1,3 milliard de consommateurs, générera 9% du PIB, c’est-à-dire 576 milliards de dollars, avec possibilité de créer plus de 18 millions d’emplois. C’est tout simplement une réponse holistique à la création de la richesse et de l’emploi. Les pays qui se sont développés comptent sur eux-mêmes d’abord, par exemple la Chine transforme juste ses ressources, investit dans la production pour augmenter les revenus et les redistribuer de manière égalitaire. L’Afrique est capable de le faire aussi. C’est pourquoi notre seul appel, ensemble, accélérons maintenant la mise en place de la Zlecaf.
Propos recueillis par GADAH Joseph